A une heure où l’attention stratégique d’Israël est focalisée sur l’Iran et où ses hommes politiques consacrent la plupart de leurs heures de veille à des tactiques de survie désespérées, un nouveau front palestinien explosif se développe à Jérusalem.
C’est un problème qui a été affecté par plusieurs incidents locaux, les tensions du Ramadan, l’influence des médias sociaux et les militants juifs d’extrême-droite. Et en arrière-plan, une crise diplomatique entre Israël et l’Autorité Palestinienne se prépare sur la question de savoir si le vote aux élections prochaines de l’AP peut avoir lieu à Jérusalem.
Les images du centre de Jérusalem lundi soir ont rappelé des scènes qu’il serait mieux d’oublier du malheureux été de 2014. Il y a sept ans, la volonté de venger les meurtres de trois adolescents juifs enlevés à Gush Etzion a conduit au meurtre d’un garçon palestinien, Mohammed Abu Khdeir, à Jérusalem-Est. Cette semaine, aussi, de jeunes Juifs ont pourchassé les Arabes dans le centre de Jérusalem. Certains ont été tabassés.
L’étincelle qui a déclenché cet incendie a été beaucoup plus modeste – une série de clips vidéo sur TikTok dans lesquels des ados palestiniens s’étaient filmés en train d’attaquer des Juifs, principalement des religieux, dans les rues de Jérusalem et dans son métro léger. Comme d’habitude, des extrémistes de droite ont alors attisé les flammes et ont crié vengeance.
Les tensions en rapport avec les fêtes du Ramadan ont contribué à la violence. Le habitants de Jérusalem-Est sont en colère contre la décision de la police d’interdire les rassemblements, sur les marches de l’esplanade de la Porte de Damas, prétendument pour des raisons de sécurité.
Les clips sur les médias sociaux montrent la violence des Palestiniens contre les passants juifs et la violence de la police contre les Palestiniens. Des centaines de Palestiniens et des dizaines de policiers ont pris part à ces affrontements, et plusieurs ont été blessés, bien que légèrement.
Ainsi que Nir Hasson l’a rapporté dans Haaretz, les Palestiniens de Jérusalem-Est considèrent l’interdiction comme une humiliation par Israël et comme une violation des traditions du Ramadan.
Les affrontements sur le Mont du Temple (1) ont mis de l’huile sur le feu. La semaine dernière, la police a débranché les hauts-parleurs du muezzin à la mosquée Al-Aqsa de façon à ce que l’appel à la prière ne dérange pas la cérémonie de la Journée du Souvenir (2) au Mur Occidental (3).
En outre, en raison du coronavirus, Israël n’a autorisé que 10.000 Palestiniens de Cisjordanie à participer sur le Mont aux prières du Ramadan, et seulement s’ils ont été vaccinés. Mais beaucoup plus voulaient y participer. Il n’y a pas eu non plus de véritable vérification du statut vaccinal, alors que le virus fait rage en Cisjordanie.
Le mois dernier, une visite du Prince Hussein de Jordanie au Mont a été annulée en raison d’un désaccord sur les dispositions de sécurité. Et ce mois-ci, la Jordanie a effectué des changements dans la composition du conseil de gestion du Waqf (4) qui contrôle le Mont, dont certains ont dérangé les Palestiniens.
Ainsi que les événements survenus à Jérusalem, on a pu voir à Jaffa ces quelques derniers jours des poussées de fièvre au cours desquelles des Arabes ont tabassé le chef d’une yeshiva et de violents affrontements entre Arabes et policiers s’en sont ensuivit.
Et tout ceci se produit dans le contexte d’une situation politique inhabituelle, dans laquelle la Liste Arabe Unie (5) essaie pour la première fois de se positionner en tant que faiseur de roi entre le bloc soutenant le Premier Ministre Benjamin Netanyahu et le bloc qui s’oppose à celui-ci. Mais le parti d’extrême-droite du Sionisme Religieux a juré de ne jamais rejoindre une coalition dépendant de députés arabes à la Knesset, même s’il soutient le gouvernement en externe.
Pendant ce temps, l’impasse diplomatique avec l’Autorité Palestinienne continue. Ceci est totalement le fait du Président palestinien Mahmoud Abbas, qui a surpris Israël, et peut être même s’est surpris lui-même, en décidant l’année dernière de convoquer pour la première fois en quinze ans des élections en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza.
Le Hamas soutient cette décision, et au départ, le parti Fatah d’Abbas aussi, à la fois parce qu’il y a besoin d’une nouvelle légitimité pour continuer à gouverner et parce que certains hauts responsables du Fatah pensent que des élections les placeraient en meilleure position dans la bataille pour succéder à Abbas, âgé de 85 ans.
Mais depuis lors, le Fatah est de plus en plus inquiet quant au résultat des élections et à son incapacité à contenir des acteurs indépendants comme Marwan Barghouti – militant du Fatah qui est emprisonné depuis 19 ans en Israël, mais qui semble maintenant déterminé à savoir s’il est suffisamment populaire en Cisjordanie pour se présenter avec succès à la présidence de l’AP. Les responsables israéliens ont averti Abbas à plusieurs reprises qu’il pourrait perdre les élections et amener le Hamas au pouvoir, un coup dont le Fatah aurait du mal à se remettre.
Les hauts responsables de l’AP ont donc commencé à envisager la possibilité qu’Israël pourrait les sortir de ce piège par le biais d’une crise amplifiée. Le gouvernement de droite d’Israël aura du mal à accepter de laisser les bureaux de vote fonctionner à Jérusalem-Est (même si ceci s’est fait auparavant, en 1996, en 2005 et en 2006, sous les anciens premiers ministres Shimon Peres, Ariel Sharon et Ehud Olmert).
Le refus d’Israël pourrait offrir un prétexte à Abbas pour annuler les élections aux motifs qu’Israël rend impossible un processus démocratique équitable et qu’il ne peut pas en exclure ses frères de Jérusalem. Mais la position d’Israël sur la question demeure incertaine.
De façon non officielle, on a dit à Abbas que le chaos politique actuel en Israël ne lui permettait pas de donner une réponse claire sur Jérusalem-Est dans un avenir proche. La balle reste donc dans le camp des Palestiniens, à un mois des élections législatives.
Mais les Israéliens qui sont en contact avec les hauts responsable de l’AP pensent que les dés sont sur le point d’être jetés. Selon eux, Abbas a tardivement pris conscience de l’ampleur du problème et cherche maintenant un moyen de faire marche arrière sans perdre la face. Les responsables de l’AP sont particulièrement inquiets de l’attractivité du Hamas à un moment où le Fatah est divisé et en proie à des conflits.
Par conséquent, selon les sources israéliennes, il y a de plus en plus de chances qu’Abbas reporte bientôt l’élection, même sans excuse israélienne. Mais plus les élections approchent, plus les Palestiniens risquent d’être en colère contre l’annulation de celles-ci en dernière minute.
Ces manœuvres complexes n’intéressent probablement pas les jeunes Palestiniens qui affrontent la police à la Porte de Damas ou qui se filment en train d’agresser des passants juifs. Mais l’incertitude concernant les élections palestiniennes contribue à la tension à Jérusalem et pourrait fournir des excuses supplémentaires à la violence dans les jours à venir...
Et étant données les sensibilités politiques en Israël, il ne serait pas surprenant de voir Netanyahu exploiter la violence dans la capitale pour sa propre survie politique, puisqu’il a besoin du soutien d’autres partis de droite pour s’accrocher au pouvoir.
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers
(1) Mont du Temple : expression utilisée par les Juifs, site présumé du Temple de Jérusalem, qui correspond essentiellement à l’Esplanade des Mosquées (Mosquée al-Aqsa et Dôme du Rocher) ou Haram al-Sharif (le Noble Sanctuaire), troisième lieu saint de l’Islam.
(2) Journée du Souvenir des soldats israéliens morts au combat, instauré par une loi de 1963, amendée en 1980 ; elle commémore aussi les membres décédés en service de la police israélienne et des services secrets israéliens (Mossad et Shin Bet).
(3) Mur Ocidental ou Mur des Lamentations, partie du mur de soutènement de l’esplanade du Temple de Jérusalem.
(4) Un Waqf est dans le droit musulman une donation faite à perpétuité par un particulier pour une œuvre d’utilité publique, pieuse ou charitable ; le bien donné devient inaliénable.
(5) Aux dernières élections législatives israéliennes de 2020, la Liste Unifiée avait obtenu 12,67 % des suffrages et 15 sièges (sur 120 à la Knesset) ; elle était formée de quatre partis, deux partis arabes nationalistes (Ta’al et Bilad), un parti arabe islamiste (la Liste Unie) et le Hadash, coalition bi-nationale (judéo-arabe) d’extrême-gauche comprenant le Parti Communiste Israélien. Aux élections législatives de mars 2021, la Liste Unie ou Ra’am s’est présentée seule et a obtenu 4 sièges ; la Liste Unifiée, formée par les trois autres partis a obtenu 6 sièges. Mansour Abbas, dirigeant du Ra’am s’est déclaré prêt à entrer dans la coalition dirigée par Netanyahu.